Nos habitudes d’utilisation des technologies numériques – téléphones mobiles, ordinateurs, télévision intelligente – se transforment depuis les dernières années. Pour la majorité d’entre nous, cette transformation se traduit quantitativement par une augmentation du temps passé sur nos écrans, pour travailler, communiquer, magasiner et nous divertir (CEFRIO 2019). La pandémie exacerbe ces nouvelles manières d’être. Inspirée par ma propre expérience du confinement, du télétravail et des sorties culturelles 100% virtuelles auxquelles j’ai pu m’adonner dans les derniers mois, je souhaite partager aujourd’hui un ensemble de ressources qui m’ont offert une perspective éclairante et des astuces pour traiter des délicates questions de la vie privée, de la sécurité et du bien-être en contexte numérique.
L’initiative Data Detox Kit est une ressource très bien conçue, qui propose des moyens concrets pour sensibiliser et outiller l’ensemble de la société sur ces trois enjeux précis. Il s’agit d’un projet réalisé par Tactical Tech, une organisation internationale basée à Berlin, qui a pour mission “d’explorer et mitiger les impacts des technologies sur la société”. Le Kit a été rédigé en anglais et est en cours de traduction vers plusieurs autres langues. Une bonne partie des pages sont actuellement disponibles en français.
Le projet Autodéfense contre la surveillance de la Fondation Frontière Électronique est une autre ressource tout aussi pertinente et regroupe à la fois des fiches expliquant certains concepts de base et des guides pratiques. Encore une fois, il s’agit d’un projet conçu en anglais dont plusieurs pages, mais pas toutes, ont été traduites en français.
Enfin, plus près de chez nous, l’Alliance des arts médiatiques indépendants (AAMI) a annoncé la publication en octobre 2020 d’une ressource en cybersécurité spécifiquement conçue pour le milieu des arts canadien. Nous relaierons les informations en lien avec le lancement cet automne!
Vie privée
On pourrait penser que les grandes et petites entreprises avec qui nous faisons affaire sur internet ne récoltent que les informations que nous consentons à leur donner (adresse courriel, nom, localisation, etc.). Nous devons toutefois nous rendre à un constat bien différent : l’accumulation de ces données en apparence anodines peut faire émerger beaucoup plus d’informations que ce que nous avons consciemment consenti à partager (déplacements, intérêts, habitudes, relations, opinions, etc.). Le modèle d’affaire de plusieurs des “géants du web”, par exemple, repose sur l’analyse de ces données pour en dégager des tendances, des schémas, et vendre ces informations à des clients intéressés. Il s’agit là de l’économie de surveillance, ce que Shoshana Zuboff, professeure à Harvard, décrit dans L’âge du capitalisme de surveillance (voir également ce documentaire, en anglais, pour une explication du concept par l’autrice).
Pour minimiser la quantité de données personnelles que nous diffusons en ligne, ou du moins, pour nous conscientiser à cet enjeu, le Data Detox Kit suggère quelques pistes. Changer le nom de son appareil (celui qui l’identifie pour l’utilisation du WiFi et de Bluetooth), désactiver les services de localisation, faire le ménage dans les applications que l’on n’utilise plus et employer un navigateur qui protège par défaut nos activités en ligne sont autant de manières d’encadrer notre participation à l’économie de surveillance. La Fondation Frontière Électronique offre aussi des conseils judicieux en lien avec notre utilisation des réseaux sociaux.
Sécurité
Que le contexte soit personnel ou professionnel, nous effectuons en ligne beaucoup d’opérations que l’on pourrait qualifier de critiques : payer des factures, prendre rendez-vous à la clinique médicale, consulter son dossier auprès d’un subventionneur, avoir des conversations que l’on espère confidentielles avec la famille, les amis, les partenaires, etc. Il est donc essentiel de rester informés sur les bonnes pratiques à adopter pour maximiser notre sécurité en ligne.
La section “Sécurité” du Data Detox Kit et le projet Autodéfense contre la surveillance soulignent d’abord l’importance de choisir des mots de passe de qualité pour protéger chacun de nos comptes. D’autres manière de protéger l’accès à nos informations confidentielles et nos divers comptes en ligne comprennent le verrouillage des écrans, l’authentification multi-facteurs, l’utilisation d’un gestionnaire de mots de passes, le fait de favoriser les services qui utilisent des systèmes de chiffrement et la vigilance face aux tentatives de hameçonnage. L’idée n’est pas nécessairement d’adopter en bloc toutes ces pratiques (insistons en priorité sur la qualité de nos mots de passe et sur la vigilance face au hameçonnage!), mais plutôt de se familiariser avec les différents concepts et technologies en jeu afin de prendre des décisions éclairées et d’adopter globalement des comportements plus sécuritaires.
Bien-être
Le thème du bien-être, quant à lui, apparaît d’autant plus important alors que la majorité de nos activités convergent vers l’espace à la fois étroit de nos appareils et infini des internets! Celles et ceux qui souhaiteraient (r)établir un équilibre différent entre le temps passé en ligne et celui passé hors ligne trouveront de précieuses astuces dans la section “Bien-être” du Data Detox Kit. Pour un impact immédiat, je recommande de commencer par faire le tri dans vos notifications. Vous pouvez généralement trouver la section “notifications” dans les paramètres des différentes applications que vous utilisez.
Si vous souhaitez évaluer et contrôler le temps que vous passez sur vos appareils, c’est également possible avec différentes applications (notamment, pour les téléphones intelligents, avec Temps d’écran sur iOS et Bien-être numérique sur Android). Pour faire une brève parenthèse en lien avec la tension entre vie privée et collecte de nos données personnelles soulignée plus haut, rappelons que ces applications fonctionnent car elles enregistrent toute activité sur nos appareils! Google et Apple peuvent nous encourager à rechercher le bien-être numérique, il reste que l’utilité de ces outils repose sur l’exactitude avec laquelle ils observent et notent nos comportements. Il y a quelque chose qui peut s’apparenter à une friction ou un malaise quand on réalise à quel point notre vie privée est étroitement enchevêtrée avec ces produits et leur inévitable modèle d’affaire. Faire des activités IRL (de l’anglais in real life ou, dans la vraie vie, pour reprendre l’expression populaire sur internet) une fois de temps en temps peut donc faire du bien pour toutes sortes de raisons.
Le Data Detox Kit comprend ensuite des conseils pour s’orienter à travers les informations erronées qui peuvent circuler en ligne ou encore pour être attentif aux différentes stratégies de design employées pour moduler nos comportements, nous persuader de cliquer ici plutôt que là, attirer notre attention, etc.
Finalement, au risque de le répéter, en contexte de télétravail, il est toujours bon de chercher à démarquer les moments consacrés au travail de ceux réservés à la famille, aux amis et à la détente. Cela peut se faire de différentes manières : en créant des comptes utilisateur séparés sur son ordinateur pour les activités professionnelles et personnelles (vous trouverez ici comment configurer des comptes sur Mac et sur Windows), en désactivant les notifications de ses courriels, en sortant prendre une marche, en fermant la porte de son bureau, en s’asseyant pour prendre des nouvelles d’un proche, etc.
En somme, il est important de comprendre comment fonctionnent les outils qu’on utilise quotidiennement pour en tirer le meilleur et en minimiser les effets indésirables. C’est ainsi que le fait d’accroître notre littératie numérique nous permet de gagner un meilleur contrôle sur notre vie privée, notre sécurité et notre bien-être.
À bientôt,
Isabelle L’Heureux